jeudi 13 août 2009

Un premier logo pour le Collectif !



Comment le trouvez-vous ? Voici le premier logo du Collectif de Babel que nous vous proposons. Il est une création de Chantal Poirier, formidable personne, étudiante à la maîtrise en sociologie à l'UQAM, mais surtout conjointe du présent rédacteur. (Les contacts, c'est important.) Les symbolismes, textuels, graphiques ou géométriques, y sont nombreux, mais l'ensemble demeure sans doute un peu cryptique. Je me permets donc quelques explications / quelques gloses :

— Le « texte », « graphème » ou « figure » centrale est probablement ce qui intrigue le plus. Il s'agit d'un « aleph » (א), la première lettre de l'alphabet hébreu et l'indice d'une sémantique chargée. La police utilisée est la très populaire Times New Roman, une police à très joli empattement (« serif » en anglais), surtout lorsqu'agrandie. Dans notre logo, l'aleph comporte un « indice » (indication numérique ou littérale qui sert à caractériser un signe, et placée le plus souvent en bas à droite : « an » se lit « a indice n »), une marque qui en précise la teneur. Il s'agit ici d'un bêta minuscule (β), seconde lettre de l'alphabet grec, historiquement très proche du b français (roman) ou anglais (germanique) auquel nous sommes accoutumés. La police employée ici (« Batang Regular », en italique) lui ajoute une texture et une inclinaison intéressantes. Son empattement tout en rondeurs suggère une sorte de délicatesse de propos, là où sans doute le radical en aleph procure à l'inverse force et stabilité, voire pesanteur.

Pourquoi avoir choisi ces symboles parmi tant d'autres possibilités typographiques et graphiques ? En premier lieu, l'aleph hébreu renvoie naturellement à l'écrivain Jorge Luis Borges, qui en a fait le titre d'une superbe nouvelle, la dernière d'un recueil éponyme (L'Aleph, 1949), et qui était familier avec ses échos à la fois profanes (mathématiques des infinis chez Georg Cantor) et sacrés (tradition kabbalistique... et cabalistique). Cette mention mérite une longue citation tirée de la nouvelle, qui l'explicitera davantage :

dans un angle de la cave il y avait un Aleph. Il précisa qu'un Aleph est l'un des points de l'espace qui contient tous les points. [...] Je fermai les yeux, les ouvris. Alors je vis l'Aleph. [...] À la partie inférieure de la marche, vers la droite, je vis une petite sphère aux couleurs chatoyantes, qui répandait un éclat presque insupportable. Je crus au début qu'elle tournait ; puis je compris que ce mouvement était une illusion produite par les spectacles vertigineux qu'elle renfermait. Le diamètre de l'Aleph devait être de deux ou trois centimètres, mais l'espace cosmique était là, sans diminution de volume. Chaque chose (la glace du miroir par exemple) équivalait à une infinité de choses, parce que je la voyais clairement de tous les points de l'univers. Je vis la mer populeuse, l'aube et le soir, les foules d'Amérique, une toile d'araignée argentée au centre d'une noire pyramide, un labyrinthe brisé (c'était Londres), je vis des yeux tout proches, interminables, qui s'observaient dans moi comme dans un miroir, je vis tous les miroirs de la planète et aucun ne me refléta, je vis dans une arrière-cour de la rue Soler les mêmes dalles que j'avais vues il y avait trente ans dans le vestibule d'une maison à Fray Bentos, je vis des grappes, de la neige, du tabac, des filons de métal, de la vapeur d'eau, [...] la circulation de mon sang obscur, l'engrenage de l'amour et la transformation de la mort, je vis l'Aleph, sous tous les angles, je vis sur l'Aleph la terre, je vis mon visage et mes viscères, je vis ton visage, j'eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu'aucun homme n'a regardé : l'inconcevable univers.

[...]

[Post-scriptum du 1er mars 1953. —] Je veux ajouter deux remarques : l'une, sur la nature de l'Aleph ; l'autre, sur son nom. Ce dernier, comme on le sait, est celui de la première lettre de l'alphabet de la langue sacrée. Son application à mon histoire ne paraît pas fortuite. Pour la Cabale, cette lettre signifie le En Soph, la divinité illimitée et pure ; on a dit aussi qu'elle a la forme d'un homme qui montre le ciel et la terre, afin d'indiquer que le monde inférieur est le miroir et la carte du supérieur ; pour la Mengenlebre [faute dans le texte de Gallimard, collection L'imaginaire : il faut lire Mengenlehre, nom allemand de la « théorie des ensembles »], c'est le symbole des nombres transfinis, dans lesquels le tout n'est pas plus grand que l'une des parties. [...]

(« L'Aleph », 1949, in L'Aleph, trad. René L.-F. Durand)

Sorte d'intercesseur transcendantal, l'aleph conduit donc à travers l'écriture borgésienne à une sémiologie totalisante, à une divinisation de la position subjective et regardante. Il résume possibilités phénoménologiques et ontologiques, événements et principes du monde en un même mouvement giratoire, en une même connaissance et co-naissance simultanées. On peut le considérer comme une appropriation spécifiquement littéraire, parce que graphique et alphabétique, des notions d'infini(s) et d'infinité.

Précisons que dans les mathématiques de Georg Cantor (1845-1918) et dans la théorie des ensembles, les aleph (א), notion centrale, sont des « nombres cardinaux caractérisant la puissance d'un ensemble infini ». Aleph-zéro (א0) désigne le « nombre cardinal de l'ensemble des entiers naturels » ; aleph-un (א1), le « nombre cardinal de l'ensemble des nombres ordinaux dénombrables »... Pour plus d'informations sur le sujet, on consultera certains articles de Wikipédia (Aleph (nombre), Nombre transfini, Georg Cantor) ou de Wikipedia (Aleph number, Transfinite number, Georg Cantor), en plus du livre d'Amir D. Aczel The Mystery of the Aleph: Mathematics, the Kabbalah, and the Search for Infinity (Four Walls Eight Windows, 2000).

Quant au bêta minuscule (β), plus modeste, plus simple aussi, il n'a d'autre fonction (apparente) que de rappeler les multiples « B » de Babylone, de la Bibliothèque de Babel et des Bibliothécaires qui en longent les corridors. Bien entendu, il représente la suite logique du « A » de l'aleph, lettre-alpha de l'« alpha-bet » (α) — mot qui n'a d'autre étymologie que celle-ci : aleph, encore, en passant par la langue phénicienne.

— Le graphème א indice b est cerné autour par trois cintres hexagonaux, deux jaunes inscrits en « négatif », un marron suscrit en « positif ». L'hexagone global formé par ces enchâssements est ouvert à ses deux extrémités gauche et droite, rappelant par là les principes énoncés de la nouvelle : deux faces libres sur six et la présence d'escaliers tournoyant d'un ou des deux côtés libres de chaque hexagone. (Sur cette ambiguïté — 1 ou 2 escaliers par hexagone ? —, on ira consulter le chapitre 5 du livre de William Goldbloom Bloch, qui s'y consacre : « Geometry and Graph Theory: Ambiguity and Access », p. 93-106.) On peut également y imaginer la présence des deux petits cabinets : la chambrette « pour dormir debout » et la toilette.

Les petits carrés blancs qui perlent l'arrière-plan de l'hexagone marron ne sont qu'ajout esthétique. Ils ajoutent sans doute un peu d'irréel et de mystère (raisonnements cabalistiques...) à l'image finale !

— Finalement, les couleurs choisies — jaune, marron, en plus du noir et du blanc — propagent une atmosphère « papetière » et « encrière » indéniable : derrière tous les projets du Collectif de Babel, on trouvera une certaine matière scripturale, une écriture.

Envoyez des commentaires ! Peut-être le logo ne vous plaît-il pas du tout ? Nous aimerions beaucoup l'améliorer dans les prochaines années. Peut-être brûlez-vous de proposer le vôtre ? Allez-y !

Percevez-vous quelques significations telluriques qui nous auraient échappé ? Ajoutez-les ! D'une certaine façon, le logo échappe à la grande Bibliothèque de Babel : son « dessin » n'est pas compris textuellement dans aucun livre de ses multiples rayons... voilà une occurrence rare.

Bibliothécaires de Babel et simples visiteurs, à bientôt !


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