samedi 11 juillet 2009

Borges et la Bibliothèque de Babel

Ainsi commence, presque bibliquement, le puits-sans-fond conceptuel qu'est la nouvelle de Borges, « La Bibliothèque de Babel » :

« L'univers (que d'autres appellent la Bibliothèque) se compose d'un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales, avec au centre de vastes puits d'aération bordés par des balustrades très basses. De chacun de ces hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. La distribution des galeries est invariable. Vingt longues étagères, à raison de cinq par côté, couvrent tous les murs moins deux ; leur hauteur, qui est celle des étages eux-mêmes, ne dépasse guère la taille d'un bibliothécaire normalement constitué. Chacun des pans libres donne sur un couloir étroit, lequel débouche sur une autre galerie, identique à la première et à toutes. À droite et à gauche du couloir il y a deux cabinets minuscules. L'un permet de dormir debout ; l'autre de satisfaire ses gros besoins. À proximité passe l'escalier en colimaçon, qui s'abîme et s'élève à perte de vue. Dans le couloir il y a une glace, qui double fidèlement les apparences. Les hommes en tirent conclusion que la Bibliothèque n'est pas infinie ; si elle l'était réellement, à quoi bon cette duplication illusoire ? Pour ma part, je préfère rêver que ces surfaces polies sont là pour figurer l'infini et pour le promettre... Des sortes de fruits sphériques appelés lampes assurent l'éclairage. Au nombre de deux par hexagone et placés transversalement, ces globes émettent une lumière insuffisante, incessante. [...] »
(« La Bibliothèque de Babel », 1941, in Fictions, trad. N. Ibarra revue par J.P. Bernés)

Les principaux thèmes de la nouvelle — finitude et infinité, éphémérité et éternité, mécanismes de la connaissance, intertextualité, raisonnements cabalistiques... — s'inspirent d'un texte précédent de Borges, intitulé « La Bibliothèque totale », publié en 1939 dans la revue argentine SUR.

« Certain examples that Aristotle attributes to Democritus and Leucippus clearly prefigurate it, but its belated inventor is Gustav Theodor Fechner, and its first exponent, Kurd Lasswitz. (Between Democritus of Abdera and Fechner of Leipzig flow—heavily ladden—almost twenty-four centuries of European history.) Its correspondences are well-knowned and varied: it is related to atomism and combinatory analysis, to typography and to chance. In his book The Race with the Tortoise (Berlin, 1919), Dr. Theodor Wolff suggests that it is a derivation from, or a parody of, Ramon Llull's thinking machines [...]. Lasswitz's basic idea is the same as Carroll's, but the elements of his game are the universal orthographic symbols, not the words of a language. [...] Lasswitz arrives at twenty-five symbols (twenty-two letters, the space, the period, the comma), whose recombinations and repetitions encompass everything possible to express in all languages. The totality of such variations would form a Total Library of astronomical size. Lasswitz urges mankind to construct that inhuman library, which chance would organize and which would eliminate intelligence. »
(« The Total Library », 1939, in Selected Non-Fictions, trad. Eliot Weinberger)

On trouvera aux emplacements suivants la transcription complète sur Internet de la nouvelle originale de Borges.

En espagnol : http://www.citerea.com.ar/ex-libris.htm

En français : http://zombre.free.fr/pages_indispensables/bibliotheque_babel.htm

En anglais : http://jubal.westnet.com/hyperdiscordia/library_of_babel.html

et en version audio anglaise : http://mpages.org/files/Jorge_Luis_Borges_-_library_of_babel.mp3

Le texte de la nouvelle apparaît dans le recueil Fictions en français (traduction de Nestor Ibarra, Gallimard, 1957, 1965 ; 1994 pour l'édition bilingue revue par Jean Pierre Bernés), Ficciones dans l'original espagnol (Emecé Editores, 1956, 1960 ; Rayo, 2008), Labyrinths, Selected Stories and Other Writings (New Directions, 1981) ou Collected Fictions (Penguin, 1999) en anglais, ou encore Die Bibliothek von Babel (Reclam, 1986) en allemand.

Le texte de son prédécesseur conceptuel, « La Bibliothèque totale » (1939), est disponible en anglais dans le recueil édité par Eliot Weinberger Selected Non-Fictions (Penguin Books, 1999), ainsi que dans l'édition française de la Bibliothèque de la Pléiade (J.P. Bernés, 1993, 1999).

4 Responses to “Borges et la Bibliothèque de Babel”

Harpalos a dit…

Bonjour

Vous dites:
<< Le texte de son prédécesseur conceptuel, « La Bibliothèque totale » (1939), est disponible en anglais dans le recueil édité par Eliot Weinberger Selected Non-Fictions (Penguin Books, 1999), ainsi que dans l'édition française de la Bibliothèque de la Pléiade (J.P. Bernés, 1993, 1999). >>

Je ne trouve pas « La Bibliothèque totale » dans les OEuvres complètes de la Pléiade (j'ai consulté le vol.1, de 1993). Pouvez-vous me dire dans quelle édition se trouve cette nouvelle?

Salut! Dans le volume de La Pléiade, le texte de “La Bibliothèque totale” se trouve dans la notice sur “La Bibliothèque de Babel” située à la fin du volume, et avant les notes sur la nouvelle, du moins si ma mémoire est bonne. Ce n’est pas vraiment une nouvelle, mais davantage un essai. Voir aussi le volume anglais que je mentionne, facilement trouvable.

Harpalos a dit…

Bonjour, je l'ai trouvé, merci.
Dommage que ce texte ne soit pas plus mis en valeur et ne bénéficie pas d'une référence dans les tables.

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